Langage

Plan de la page :

Les origines du langage

Le développement du langage

Trouble de l'articulation, retard de parole et retard de langage
s
L'illettrisme

L'entrée dans le langage écrit
a
La dysphasie
a
Le bégaiement

Les origines du langage

Document à télécharger (cliquer ici) : transcription de l'émission "Les origines du langage".

Le développement du langage

Première chose à savoir, il existe une période critique d'apprentissage du langage (c'est vrai aussi pour d'autres acquisitions importantes telles que la marche) : avant cette période, il est trop tôt pour que l'enfant puisse le développer, mais après, c'est trop tard...

Commençons par quelques données de neurobiologie (mais non, vous allez voir, c'est simple !).

Avant, on pensait que le bébé n'était qu'un être humain miniature qui ne faisait que grossir... ben non !

Selon la théorie de l'épigénèse , l'embryon se développe à partir de cellules indifférenciées qui se spécialisent progressivement (c'est pour cette raison que les scientifiques aiment tant les cellules embryonnaires : ce sont des "bébé cellules" qui vont se spécialiser suivant les besoins... elles pourront devenir des cellules de peau, des neurones, etc... c'est le plan idéal pour les greffes !).

Au départ, les cellules du cerveau sont réparties de façon homogène mais, petit à petit, il va y avoir un phénomène de migration : ces cellules vont se concentrer principalement dans la zone corticale pour former le cortex.
Et il va aussi y avoir un phénomène de mort cellulaire : certaines cellules vont mourir pour permettre aux autres de fonctionner efficacement.
Vous allez voir, c'est pas pour rien tout ça...

Grâce à la mort cellulaire et aux stimulations, les aires du cerveau vont se spécialiser : c'est parce que l'enfant perçoit des informations auditives (des sons) qui sont transmises au cortex que ces voies auditives vont fonctionner et que le cortex auditif sera justement le cortex auditif.
Si les cellules ne sont pas utilisées pour ça, ce sera pour autre chose et en particulier traiter les autres stimulations sensorielles. Passé la période critique, il va falloir lutter avec cette plasticité pour redonner la primeur de l'audition sur ces voies auditives.

Le meilleur exemple est celui des enfants sauvages qui reviennent au monde après 4 ans (ils ne vont jamais développer un langage car c'est trop tard, les aires de langage ont été utilisées pour autre chose).
D'où l'intérêt d'une prise en charge précoce des enfants sourds.

Mais pour communiquer, il faut aussi mettre en place des compétences conversationnelles :
Comme j'ai pitié de vous, je ne vais pas vous faire le listing complet, juste vous donner une vision globale pour que vous vous fassiez une idée.
Il faut par exemple que l'enfant ait une motivation : s'il se rend compte qu'à chaque fois qu'il essaie de communiquer, ses parents sont émerveillés et l'encouragent, il aura envie de continuer.
Il faut aussi que la langue avec laquelle il est mis en contact soit structurée et d'un niveau toujours juste supérieure à ses capacités de productions (pour l'entraîner toujours vers le haut sans trop lui en demander non plus)

Les étapes :


1er mois : vocalisations réflexes (l'enfant va pleurer quand il n'est pas content mais sans le contrôler, c'est un réflexe, c'est préprogrammé, il pleure parce qu'il y a un mal être)

1 à 3 mois : 1ères vocalisations volontaires (il va pouvoir commencer à choisir de pleurer et on va voir apparaitre les différents types de pleurs) et vocalisations réponses (quand on va lui parler, et particulièrement sa mère parce qu'il est plus sensible à sa voix et à son timbre, il va lui aussi produire des sons : 1ères voyelles)

3 à 4 mois : « areu » (car ce sont les voyelles les plus utilisées ; cela montre que les voyelles de l'enfant sont extrêmement guturales : elles sont produites au niveau de la gorge)

2-5 mois : sourire réponse et rire (le sourire est la preuve que l'enfant maîtrise les muscles de ses lèvres et donc qu'il peut produire des sons ; le rire, quant à lui, montre qu'il peut mobiliser ses poumons)

4 à 6-8 mois : babillage rudimentaire (il découvre qu'il est capable de produire différents sons et en apprécie les sensations kinesthésiques)

6-8 mois : babillage canonique (répétition de syllabes)

9-10 mois : intonation de la langue maternelle (dans son babillage, l'enfant prend les intonations propres à sa langue maternelle)

1ère année : traitement et catégorisation des sons (le bébé va apprendre à traiter les sons de sa langue maternelle et va petit à petit pouvoir les catégoriser de façon inconsciente : à la naissance, il peut produire tous les sons et petit à petit, à force d'être confronté au langage de sa langue maternelle, il va se spécialiser dans le traitement des sons de sa langue maternelle)

10-11 mois : réorganisation des catégories perceptives et répertoire de consonnes et de voyelles (il va faire une sélection de consonnes et de voyelles adaptées à sa langue maternelle)

11-12 mois : 1ers mots et allongement de la dernière syllabe du mot (caractéristique de l'intonation du Français)

18-20 mois : lien entre signifiant et signifié (jusque là, il était sur l'intonation, la motricité... et là il commence à faire du lien avec le langage et à comprendre que les mots ont un sens)
Spécialisation de l'hémisphère gauche (le gauche se spécialise pour les activités langagières et le droit ne s'en occupe plus)
Explosion lexicale (d'un jour à l'autre, l'enfant acquiert du vocabulaire : le langage prend vraiment une place très importante et se développe de façon très rapide)

2 à 3 ans : construction des phrases et explosion langagière (progrès très rapides au niveau de la parole, du lexique avec une diversification des noms, des verbes, des adjectifs, ..., au niveau de la syntaxe, les phrases commencent à se construire, se complexifient et s'allongent, et vers 3 ans, il utilise le « je » au lieu du moi)

3 à 4 ans : de moins en moins d'erreurs grammaticales, coordinations de phrases (utilise le « et »), apparition du récit (il commence à adapter son discours à son interlocuteur, et à utiliser les pronoms personnels ainsi que les temps verbaux)

4 ans : les compétences langagières de base sont acquises (les grandes caractéristiques fondamentales du langage sont installées)

 

Trouble de l'articulation, retard de parole et retard de langage

 

 

Retard et trouble

Le retard, c'est moi tous les matins: je suis pas à l'heure comme tout le monde mais je finirais bien par arriver en cours à un moment ou à un autre. Un trouble, c'est mon réveil qui ne sonne pas, ma cheville qui se tort et la grève des conducteurs de tram : dur, dur, d'arriver à l'heure en cours.
Bon, je vais peut-être arrêter les métaphores... Pour faire simple, un enfant qui a un retard, c'est un enfant qui présente un écart temporel dans l'acquisition de certaines compétences, par rapport aux autres enfants de son âge et de son niveau scolaire : par exemple, en lecture. Mais à partir du moment où on l'aide correctement, il arrivera finalement à rattraper son retard et lira comme les autres.
Un retard, on peut le combler... mais un trouble, lui, ne disparaîtra jamais : si l'on reprend l'exemple de la lecture, on parlera ici de dyslexie. En revanche, on peut trouver des moyens de compensation, des techniques pour le contourner : un dyslexique devra, toute sa vie, mobiliser plus d'efforts que les autres pour lire... mais ça ne signifie pas qu'il n'y parviendra jamais.

Articulation, parole et langage

Il s'agit en fait des trois niveaux de langage (à ne pas confondre avec les 3 articulations du langage !)

Le premier est celui des phonèmes (les sons de la langue, si vous préférez : [p], [z], [µ]... attention à ne pas les confondre avec les noms des lettres : [p] ne se lit pas "pé" mais "p") : si un ou plusieurs phonèmes sont mal produits, on observera alors un trouble de l'articulation (ou "dyslalie", pour faire intello).
Il y a trois types de troubles de l'articulation :
- les distorsions (le phonème est remplacé par un bruit faux, qui n'existe pas)
- les omissions (le phonème n'est pas prononcé : "la voitu' ")
- les substitutions (le phonème est remplacé par un autre phonème de la langue : [tr] remplacé par [kr] "papa est au kravail)
Ici, l'utilisation du terme "trouble" est contestable puisqu'on peut rééduquer la dyslalie jusqu'à "guérison" complète.

Le deuxième niveau est celui du mot : si le mot est déformé, on parle alors de retard de parole. "Oui, mais dans le trouble de l'articulation, le mot aussi est déformé !" me direz-vous. Eh bien, pas exactement : dans la dyslalie, le phonème n'est jamais prononcé correctement alors que dans le retard de parole, il peut ne pas être prononcé correctement dans un mot et l'être parfaitement dans un autre. Par exemple, prenons le mot "voiture" : si l'enfant dit "voitu' ", il peut soit avoir un trouble d'articulation (l'omission systématique du [r]), soit avoir un retard de parole (l'apocope : omission d'une consonne en fin de mot). Pour connaître son problème, il faudra lui faire dire d'autres mots avec le phonème [r] : s'il parvient à le prononcer dans d'autres mots, alors c'est un retard de parole.
Il n'y a pas que des omissions : l'enfant peut mélanger les syllabes d'un mot ("valabo" au lieu de "lavabo"), confondre des mots proches ("carte" et "quatre"), ajouter des phonèmes ("crocrodile" au lieu de "crocodile"), etc.

Le troisième niveau est celui du langage : en cas de retard, c'est la phrase qui sera affectée, ou plus exactement le système. Par exemple, l'enfant dira "moi manger gâteau"

Mais minute papillon ! Comment que ça se fait qu'on parle de trouble d'articulation ?

Vous vous souvenez de la différence entre retard et trouble  ?

Petit rappel : un retard se comble, c'est un simple écart dans le temps, tandis qu'un trouble restera toujours et on ne pourra que le compenser.
Pourtant, on parle de trouble d'articulation : étrange, puisque le petit loup qui zozote (oui, je gagatise avec mes petits patients, ce sont mes petits loups), s'il est pris en charge, finira par articuler correctement. Ce n'est donc pas à vie, il peut "récupérer" complètement.
D'ailleurs, on parle bien de retard de parole (tu viendras à mon pestacle ?) et de retard de langage (toi pas beau !)...
Oui, mais voilà, lorsqu'il a fallu faire la nomenclature (la liste de tout ce que font les ortho), il a fallu faire vite et donc on n'a pas fait trop trop gaffe aux appellations...
Bref, normalement, quelqu'un de rigoureux parlerait plutôt de "retard d'articulation".


L'illettrisme

Avec l’obligation scolaire, on pourrait penser que l’illettrisme ne concerne que le tiers-monde et pourtant… ça touche pas moins de 3 millions de personnes en France… ça en fait des gens ! Mais au fait, c’est quoi l’illettrisme ? Et quelle est la différence avec l’analphabétisme ? Et puis d’abord, pourquoi est-ce que je vous parle de ça ? Deux minutes, je vous explique tout !

Illettrisme, analphabétisme… kesako ?

Une personne analphabète, c’est quelqu’un qui n’a jamais bénéficié d’un enseignement du langage écrit. En revanche, une personne illettrée, si… simplement, pour diverses raisons, elle n’est pas allée jusqu’au bout de cet apprentissage, si bien que le recours à la lecture et à l’écriture n’a rien d’évident pour elle. Cette personne n’utilise pas le langage écrit comme mode d’expression privilégié et ne peut pas s’en servir dans la vie quotidienne : elle ne peut pas rédiger une liste de courses, lire les panneaux routiers ni le programme télévisé.

Et l’obligation scolaire, dans tout ça ? me demanderez-vous. Eh bien, même si on doit aller à l’école jusqu’à 16 ans, il y a des biais : manque de motivation, dyslexie non diagnostiquée qui a entraîné de lourdes difficultés, problèmes de santé causant un retard que l’enfant n’a pas pu rattraper et qui l’a poussé à arrêter l’école…

Quelques idées reçues…

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les personnes illettrées ne viennent pas forcément d’un milieu social défavorisé, et une grande majorité (75% d’entre elles) parlaient exclusivement français à la maison, avant l’âge de 5 ans. D’autre part, leur expression orale n’est pas forcément déficitaire.

En fait, il n’y a pas qu’un seul profil : chaque cas est particulier. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’on parle plutôt de personnes « en situation d’illettrisme ».

Plein de profils mais quelques points communs aussi

Les personnes illettrées sont majoritairement des hommes et ont généralement plus de 45 ans. Leur vécu par rapport à l’école est souvent difficile. L’écrit étant omniprésent, elles ont dû développer des stratégies de compensation : elles ont souvent une très bonne mémoire, ont appris à reconnaître les panneaux des localités les plus proches de chez elles (mais au lieu de lire, elles les appréhendent comme des logos, d’où quelques cafouillages lorsqu’elles sont confrontées à des noms de villes qui se ressemblent), demandent aux commerçants de remplir les chèques pour eux parce qu’ils ont oublié leurs lunettes, …  En effet, ils cherchent souvent à cacher leur situation.

Elles se retrouvent prises dans un cercle vicieux car, n’ayant pas accès aux informations écrites, elles sont exclues de la vie en société (impossible de lire le programme d’un homme politique ou même son nom sur un bulletin de vote…) et plus elles sont exclues, moins elles accèdent aux informations.

Et les orthos, dans tout ça ?

Depuis… euh… un certain temps… la lutte contre l’illettrisme est inscrite dans la nomenclature des orthophonistes. Mais, attention, les personnes étrangères qui ne parlent pas Français ne sont pas du ressort des orthos mais des enseignants FLE (Français Langue Etrangère). Quel que soit l’âge, la prise en charge de l’illettrisme par les orthophonistes est remboursée par la sécurité sociale.

Généralement, les personnes illettrées qui viennent pour une prise en charge ont été poussées par un objectif bien précis : passer le permis de conduire, obtenir une promotion,…

Ces personnes ont souvent quelques idées reçues sur le langage écrit : par exemple, elles pensent souvent qu’il faut apprendre par cœur l’orthographe de tous les mots pour pouvoir écrire.

Leur vécu par rapport à l’école  étant très négatif (ils disent souvent qu’ils ne sont pas faits pour l’école), il faut éviter de retourner dans des techniques qui s’apparentent trop aux méthodes scolaires. D’autre part, il s’agit d’adultes et non d’enfants en plein développement, ce qui a un impact sur leur apprentissage.

Il faut éviter des techniques trop scolaires car il ne s’agit pas d’enfants en plein développement mais d’adultes. D’autre part, leur vécu par rapport à l’école est souvent très négatif : ils affirment d’ailleurs qu’ils ne sont pas faits pour l’école, alors qu’en fin de prise en charge, ils ont tendance à dire qu’ils auraient voulu continuer leurs études.

 

 

L'entrée dans le langage écrit

Essayez de lire le texte suivant (sans vous aider de l'écrit !), en sachant que les lettres ont été remplacées par celles qui les précèdent dans l'alphabet ("a" remplacé par "b", "b" remplacé par "c"...):

KBNBJT FODPSF MB WFSJUF OF T'FTU BDDSPDIFF BV CSBT E'VO JOUSBOTJHFBOU.


Essayez vraiment ! Vous n'êtes pas obligés de tout faire, mais faites au moins un effort pour les trois premiers mots.
Vous allez voir, ça sert à quelque chose...

Ca y est ?

Réponse (à surligner) : Jamais encore la vérité ne s'est accrochée au bras d'un intransigeant.

Vous avez remarqué comme c'est fatigant ? Comme ça devient décourageant et énervant ?

Eh bien, en décodant cette phrase, vous venez de vous mettre à la place d'un enfant qui apprend à lire. Car c'est exactement ce qu'on demande à un enfant de 5 ou 6 ans, et encore, c'est plus facile pour nous vu qu'on réécrit mentalement les lettres.


Mettez-vous maintenant à la place d'un enfant qui a compris le principe du système alphabétique (une lettre représente un phonème*) et qui connaît certaines correspondances, mais pas toutes:

fi-o-è-e -é--s-era -es -r-s-a-és a-e- -- so---o- -e sa--e a- --rr-


Réponse (à surligner) : Filomène dégustera des crustacés avec un soupçon de sauce au curry.

Les enfants qui ont de bonnes capacités cognitives vont être capables de passer ce test avec brio parce qu'ils vont développer des stratégies pour s'en sortir.
Si on vous traduit la phrase, le lendemain vous pourrez la redonner sans problème: c'est ce qui rend "invisibles" les enfants en difficulté.
Il est aussi difficile de se rendre compte des obstacles que rencontre un enfant lorsque celui-ci essaie de faire l'exercice.
Avec un enfant qui abandonne, par contre, on sait tout de suite qu'il n'a pas compris le système.


La dysphasie

Cliquez ici pour télécharger la transcription de l'émission Allô Docteurs consacrée à la dysphasie.



Le bégaiement

Quelques explications...



Faut-il vraiment vous présenter le bégaiement ? Ce trouble est assez célèbre, et existe depuis la nuit des temps (les premières descriptions nous viennent de l'Egypte ancienne). D'ailleurs, vous connaissez sûrement l'histoire de Demosthène qui tentait de pallier ses problèmes d'élocution en s'entraînant à parler avec des cailloux dans la bouche.
L'OMS a défini le bégaiement de cette façon : trouble du rythme de la parole dans lequel la personne sait précisément ce qu'elle veut mettre en mots mais est dans l'incapacité de le dire à cause d'arrêts involontaires, de répétitions, de prolongations.
Inutile de vous dire que c'est une véritable galère : le simple fait de s'exprimer est associé à une lutte, une souffrance... et lorsqu'on est enfant, les petits camarades ne sont pas tendres : les moqueries vont bon train et le bègue, qui croit déjà que sa parole n'a pas de valeur, se trouve conforté dans cette idée.
Pourtant, le bègue est loin d'être bête : au contraire, même ! Les bègues sont souvent des enfants précoces, d'esprit vif... tellement vif d'ailleurs, que le bègue va développer des stratégies pour éviter les mots qui accrochent et cacher ses accidents de parole.

Placer le bégaiement dans la section réservée au langage, je l'admets, n'est pas très judicieux, car ce n'est pas tant un problème de langage que de communication. En effet, c'est seulement dans la relation à autrui que le bègue a des accidents de parole : seul, il parle tout à fait normalement.  De même, lorsqu'il est en confiance, à l'aise, le bègue parle mieux et peut cesser de bégayer. Et cet aspect peut être assez problématique en rééducation : chez l'orthophoniste, la parole de l'enfant peut s'améliorer tout simplement parce qu'il se sent à l'aise avec son thérapeute, alors que dehors, il continue à bégayer ; il faut donc sortir du cocon rassurant que constitue le cabinet et affronter le monde extérieur, d'abord au téléphone puis en allant directement au contact des gens, accompagné de l'orthophoniste.

Et qu'est-ce qui cause le bégaiement, me demanderez-vous... De nombreuses théories ont été échafaudées et, pendant longtemps, la langue a été l'organe incriminé : trop molle, trop sèche, trop épaisse, trop paresseuse, trop froide : les Grecs s'en sont donné à coeur joie. Puis vint le tour des chirurgiens en tous genre qui eurent la joyeuse idée de la sédater, de la percer avec des aiguilles ou encore de sectionner son frein. Les psychanalystes y mirent ensuite leur grain de sel : Freud pensa à un traumatisme de l'enfance, à une mère trop dominante...
Pour être tout à fait honnête, on ne sait pas exactement ce qu'il se passe. En tout cas, ce qui est sûr, c'est qu'on ne peut pas restreindre le bégaiement à un simple problème psychologique : la prise en charge psychologique est bénéfique pour le quotidien du patient (on la conseille d'ailleurs fortement), mais ne fait pas disparaître son bégaiement.

Ceci dit, on a tout de même identifié quelques facteurs favorisants. Souvent, les bègues sont des enfants sous pression et dans un environnement pas très calme : la musique allumée à longueur de temps, les jeux vidéo toujours à portée de main, un entourage qui parle fort et vite sans trop respecter les tours de parole, un emploi-du-temps tellement chargé que l'enfant n'a même pas le temps de s'ennuyer (pourtant, l'ennui, ça a son utilité, si, si...). Par ailleurs, il arrive que les exigences parentales soient très élevées, et même trop par rapport à l'âge de l'enfant (pour permettre à un enfant de se développer normalement, il faut toujours lui demander des compétences juste au-dessus de celles déjà acquises, il faut rester dans ce qu'on appelle "la zone proximale de développement") : politesse, propreté, connaissances diverses ne sont pas acquis assez rapidement au goût des parents et l'enfant se retrouve en surcharge cognitive (on lui demande trop intellectuellement et il ne s'en sort plus), ce qui peut se manifester par le bégaiement (vous vous souvenez de la définition : des ralentissements, des blocages... une façon inconsciente qu'a l'enfant de dire stoooop !). 
Ceci dit, beaucoup d'enfants vivent dans des conditions similaires et n'en deviennent pas bègues pour autant ; la "faute" ne revient donc pas aux parents, si le bégaiement s'est déclenché, c'est que l'enfant avait déjà un terrain propice.
Il faut aussi noter plusieurs facteurs déclenchants : ce sont toujours de fortes sources de tension telles qu'un déménagement, la naissance d'un frère ou d'une soeur , l'entrée à l'école (toutes ces choses vous semblent peut-être anodines, mais pour un enfant de  4, 5, 6 ans, ça peut être très dur à gérer ; au passage, mon frère aîné a surmonté notre déménagement grâce au livre "la famille Passiflore déménage"... à bon entendeur ;-p) ou encore un deuil, des conflits familiaux, etc. Il arrive parfois que les parents soient capable de déterminer exactement le moment où le bégaiement est survenu.

Mais un bégaiement qui vient de se mettre en place ne va pas forcément se pérenniser... à condition d'agir vite ! Un bégaiement naissant, c'est une situation d'urgence en orthophonie : ces enfants doivent avoir la priorité.
Le bégaiement passe par plusieurs étapes. Au départ, l'enfant ne se rend pas vraiment compte de ses accidents de parole, ou, en tout cas, n'est pas gêné par eux : il ne cherche donc pas spécialement à éviter les "mots qui accrochent". Par ailleurs, le bégaiement se manifeste surtout dans les périodes de stress, notamment quand les exigences de parole sont grandes. A ce moment-là, il faudra mettre en place des temps calmes avec l'enfant (lire une histoire...), diminuer le plus possible les facteurs de stress (on baisse les exigences, on diminue les activités extra-scolaires...) et remettre en place les tours de parole de façon plus nette (par exemple, avec un bâton de parole).
La deuxième étape, c'est quand l'enfant commence à être gêné par son trouble : il cherche alors à s'y opposer, et apparaissent des mouvements associés tels que des tics, une avancée du tronc, etc. manifestant sa tension intérieure pour se débarrasser du bégaiement. D'autre part, l'entourage favorise l'installation du bégaiement en le faisant remarquer : les parents conseillent ou grondent, demandent de répéter, la fratrie se moque... Attention, la fausse indifférence est aussi très nocive car l'enfant n'est pas dupe : il voit bien le malaise dans son entourage et c'est d'autant plus stressant pour lui car il ne comprend pas ce qu'il se passe.
A la dernière étape, la résistance de l'enfant devient involontaire et  il se met à fuir le contact avec les autres, à avoir peur de parler. C'est une véritable lutte qui se met en place. A ce moment-là, si vous lui demandez de vous dessiner son bégaiement, vous obtiendrez quelque chose de très violent (une bouche cousue par des barbelés...). Le bègue se sent victime de quelque chose d'extérieur à lui et ne comprend pas qu'il est lui-même à l'origine de ce trouble dont il est le seul à pouvoir se sortir.

Dès lors, le bégaiement sera favorisé par des situations telles que la prise de parole improvisée (une situation imprévue...), la présence d'un auditoire, les conflits, un interlocuteur pressé qui coupe la parole... ; et, à l'inverse, sera moindre dans les ambiances calmes, avec un interlocuteur de confiance qui prend le temps d'écouter, pour jouer une pièce de théâtre (car c'est la parole de quelqu'un d'autre et non plus la leur), pour compter, quand l'interlocuteur est un enfant (car le bègue se sent plus à l'aise... d'ailleurs, souvent, les bègues choisissent un métier en contact avec les enfants)...

Dans le cas d'un enfant, la prise en charge comportera une "guidance parentale", c'est-à-dire qu'on instaure un suivi où l'on conseille les parents et où on leur propose différentes choses (il n'y a pas de recette miracle) afin d'arrêter le processus pathologique. On insistera notamment sur le fait qu'il faut attacher de l'importance non pas à la façon dont l'enfant parle mais à ce qu'il veut exprimer. Dans les facteurs favorisants, je vous disais qu'il y avait une tendance des parents à insister sur les normes de politesse, sur le bien parler ; l'enfant croit alors que la parole est quelque chose de très contrôlé, de très planifié.
On sait aujourd'hui que, pour un enfant jeune, le fait d'agir sur l'entourage est très efficace.

Avec l'âge et l'estime de soi grandissant, le bégaiement s'atténue. Toutefois, il faut garder en tête que la souffrance n'est pas proportionnelle à l'importance du trouble.

Et comme je suis une brave optimiste, je vais terminer sur une touche positive. Voici donc quelques bègues célèbres, pour vous montrer que ce n'est pas une fatalité...

* Albert II (1958), prince de Monaco
* Albert Einstein (1879-1955), physicien et mathématicien allemand
* Anthony Quinn (1915-2001), réalisateur, producteur et acteur américain
* Aristote (384 av. J.-C.-322 av. J.-C.), philosophe grec
* Ben Johnson (1918-1996), acteur américain
* Boris Becker (1967), tennisman allemand
* Bruce Willis (1955), acteur américain
* Charles Ier (1600-1649), roi d'Angleterre, d'Ecosse et d'Irlande
* Charles Darwin (1809-1882), naturaliste britannique
* Claude Ier (10 av. J.-C.-54 apr. J.-C.), empereur romain
* Démosthène (384-322 av. J.-C.), homme politique et orateur athénien
* Francois Bayrou, homme politique français
* George VI, (1895-1952) roi de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, et empereur des Indes
* Georges Clemenceau (1841-1929), homme politique français
* Gérard Depardieu, acteur français
* Isaac Newton (1642-1727), physicien, mathématicien et astronome anglais
* Jimmy Stewart (1908-1997), acteur américain
* John Scatman, chanteur
* Julia Roberts (1967), actrice américaine
* Lewis Carroll (1832-1898), écrivain et mathématicien anglais
* Louis II le Bègue (846-879), roi de France
* Louis XIII le Juste (1601-1643), roi de France
* Louis Jouvet (1887-1951), acteur et metteur en scène français
* Marylin Monroe (1926-1962), actrice américaine
* Moïse (XIIIe siècle av. J.-C.), prophète et législateur d’Israël
* Molière, Jean-Baptiste Poquelin dit, (1622-1673), auteur dramatique et comédien français
* Napoléon 1er (1769-1821), empereur des Français
* Pierre Corneille (1606-1684), poète dramatique français
* Richard Branson (1950), entrepreneur britannique
* Robert Boyle (1627-1691), physicien et chimiste irlandais
* Sam Neil (1947), acteur néo-zélandais
* Theodore Roosevelt (1858-1919), homme politique américain
* Thomas Edison (1847-1931), inventeur américain
* Tiger Woods (1975), golfeur américain
* Tom Sizemore (1964), acteur américain
* Virgile (v. 70 av. J.-C.-19 av. J.-C.), poète latin
* Winston Churchill (1874-1965), homme politique britannique

La prise en charge


Pour être tout à fait honnête, le bégaiement est un trouble avec lequel certains orthos ne sont pas à l'aise... à tel point qu'ils préfèrent ne pas prendre en charge. Il faut dire que la formation initiale n'est pas toujours très complète, et il faut souvent une formation complémentaire (c'est de moins en moins vrai). Mais, malgré ce qu'on peut dire, la prise en charge du bégaiement avance.
Toutefois, cette prise en charge étant difficile, elle peut aboutir à des échecs (il faut savoir que si le bégaiement s'est installé, il ne pourra jamais véritablement disparaître ; un de mes maîtres de stage comparait le bègue à un alcoolique : un alcoolique qui a arrêté de boire reste un alcoolique, tout comme un bègue qui n'a plus d'accidents de parole reste un bègue car son trouble peut revenir) et il arrive que les patients perdent espoir et confiance en les professionnels. Ils se raccrochent alors à diverses méthodes hors du cadre médical.
Ces méthodes sont souvent le fruit d' "anciens bègues" qui promettent une guérison complète en à peine quelques jours. On en voit d'ailleurs régulièrement à la télévision et, dans les émissions, ces techniques paraissent miraculeuses (les médias adooooorent ce genre de chose) . Oui, mais... si on y regarde de plus près, on se rend compte que tout n'est pas si rose... En fait, si ces méthodes semblent si efficaces et si rapides, c'est parce qu'elles s'attaquent au problème en surface mais pas au problème de fond. Le bégaiement ne se définit pas uniquement par des accidents de parole : la façon dont les bègues abordent la communication,  leurs relations avec les autres sont des points qu'il faut absolument aborder si l'on veut avoir de véritables résultats. Et ce n'est certainement pas en 3 jours ou une semaine que l'on va régler ça !
Certes, il y a quelques personnes pour qui ce genre de méthode a fonctionné... mais combien d'échecs ! Et même lorsque ces bègues considèrent avoir été guéris, on se rend compte que, même s'ils n'ont plus de bégayages, leur communication reste anormale : leur parole manque souvent de prosodie (la mélodie du langage, c'est-à-dire ce qui véhicule, entre autres, les émotions), leur visage est figé, inexpressif et on sent souvent chez eux une grande tension. Ils ne sont pas dans une parole normale mais dans une parole contrôlée, qui n'est pas naturelle. 
Généralement, à la fin de ces stages d'à peine quelques jours, les 3/4 des participants s'estiment débarrassés de leur trouble... et pourtant, on les retrouve quelques mois plus tard complètement démoralisés car le bégaiement est revenu (et là, on les ramasse à la petite cuillère...).

Si vous voulez vous faire une idée, voici un reportage qui parle de la méthode Impoco (elle a fait du bruit pendant un moment et puis... ces derniers temps, plus rien) :



 




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