COMMENTAIRE Du Dr Michel HABIB sur le Rapport RINGARD sur la prise en charge des enfants dysphasique

15/1/2011

 

Chers Collègues, Chers Amis,

J'ai parcouru comme vous, grâce à la diligence habituelle de Coridys, le rapport Ringard qu'on nous promettait comme un événement important. Effectivement, je crois que cette date du 8 juillet est à marquer d'une pierre blanche, tant il devenait intolérable pour beaucoup, que notre pays ne puisse pas se donner les moyens que d'autres ont mis en œuvre depuis longtemps pour lutter contre la dyslexie. Et en ça, cette parution me paraît un point positif.

Mais je tenais à vous faire part, à chaud, de mon étonnement, pour ne pas dire ma stupéfaction, devant certaines affirmations ayant trait à la seule partie du texte que je sois en mesure de juger, celle traitant des bases scientifiques du problème . Cette insistance à prétendre qu'"il n'y a pas d'unanimité des scientifiques", que "certains (sous-entendu : scientifiques) mettent en doute l'existence de ce trouble et la notion même de dyslexie" (p. 17), l'affirmation que "de nombreuses recherches dans le domaine psycho-pédagogique ont ... abouti à ce que les chercheurs nient l'existence de la dyslexie" (p.20), cette volonté de mettre sur le même plan la recherche scientifique (sans citer du reste aucun auteur) et une énigmatique recherche pédagogique (où la seule référence donnée remonte à 1958!), cet évitement systématique de l'aspect génétique du problème, me paraissent dénoter soit d'une insuffisance notoire dans la prise d'information, soit d'un parti pris dont les motivations ne me sont pas claires.

Dire que "les termes de dysphasie et dyslexie dans la littérature de recherches ne sont plus utilisés" (p. 56) relève également soit d'un manque total d'information (le seul relevé des banques de données medline ou pascal permet de voir que le nombre de travaux scientifiques contenant ces termes va au contraire croissant d'année en année) soit d'une volonté mal compréhensible de rendre encore plus complexe ce qui déjà n'est pas simple....

Utiliser avec insistance la notion de distinction entre retard et déficience, distinction qui a un intérêt clinique mais n'a pas de réel substrat biologique connu, va pour moi dans le même sens.

Je dois vous dire qu'étant à l'heure actuelle au Canada, j'ai pris le temps, avant d'écrire ces lignes, de faire lire certains passages de ce rapport à des collègues nord-américains qui n'en revenaient pas qu'il puisse encore se dire, et même s'écrire, de tels propos sur notre vieux continent, alors qu'ici ces débats ne sont depuis longtemps plus à l'ordre du jour. Mais évidemment, rien ne nous dit que le point de vue nord-américain soit nécessairement meilleur!. Seulement plus objectif et pragmatique, sans doute...

Je ne commenterai pas la partie sur les propositions pratiques, qui n'est pas de ma compétence et qui me semble avoir le mérite d'exister, ce qui est énorme. Je relèverai ici cependant deux points qui me semblent significatifs. Le premier est la notion qu'il faut "éviter tout déterminisme scolaire et social" (ce qui ne me paraît pas, de prime abord, la cause principale de handicap des enfants dyslexiques que j'ai eu à examiner) et qu'"un diagnostic trop précoce peut induire des décisions par trop déterminantes pour l'enfant" (personnellement, j'ai bien plus souvent été confronté au cas de figure inverse de diagnostic trop tardif...).

Je crois qu'il y a là une conception erronée du problème qui va à l'encontre du bon sens clinique, lui qui nous incite plutôt à faire comprendre à l'enfant dyslexique et à ses parents qu'il ne s'agit pas d'une tare ou d'une maladie honteuse qu'il faut surtout éviter de montrer, mais bien d'une particularité, d'une singularité d'un certain nombre d'individus, et que cette singularité peut même souvent avoir par ailleurs des avantages.

Certaines entreprises américaines incluent la dyslexie comme un critère positif dans le recrutement de leurs employés!. Sans aller jusque là, ce qui pourrait effectivement mener à l'excès inverse, il me paraît en tout cas dangereux de promouvoir toute attitude qui pourrait faire retarder le diagnostic, quand on sait l'importance de prendre en charge ces enfants le plus tôt possible. Le deuxième point sur lequel ma lecture rapide du chapitre 'recommandations' s'est arrêtée est le souhait de fournir aux enseignants "une variété de stratégies d'apprentissage susceptible de surmonter cette déficience" (p. 71). Je crains que cette phrase de même que la notion de "remédiation pédagogique" (p. 61) n'induise une confusion quant au rôle de l'enseignant qui doit être à mon sens celui de dépister, non celui de diagnostiquer et encore moins de rééduquer.

La remarquable contribution de notre collègue Zorman va du reste dans ce sens en fournissant un outil dont la vocation est essentiellement au dépistage. Cela dit, les différentes propositions faites dans ce rapport me paraissent relever d'une réelle volonté d'améliorer les choses et en cela l'ensemble me paraît un effort tout à fait louable. Mais encore une fois, je laisserai les spécialistes donner leur avis sur l'aspect institutionnel des choses et leur faisabilité. Mon propos était de relever certaines erreurs scientifiques notoires qui ne peuvent, à mon avis, être diffusées telles quelles sans rectificatif. Que ces erreurs soient délibérées ou non est une autre question, qui déterminera probablement en grande partie l'efficacité des mesures qui seront prises. Mais dans tous les cas, de la même manière que l'auteur de ces lignes nous exhorte à "l'humilité scientifique" (p. 5), il lui faudra je pense une bonne dose d'humilité littéraire pour réviser sa copie.

 

Michel Habib, M.D.

Neurologue

Professeur Invité

Université de Montréal

4565 Ch. Queen Mary

H3W 1W5 Montréal (QUE)

Canada

 

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